L’Italie est l’un des principaux pays d’arrivée des migrants, cependant son système d’accueil est l’un des plus complexes d’Europe: le résultat de décennies de législation contradictoire, stratifiée au fil du temps sans lisser les rudesses, qui a normalisé et rendu définitives des structures comme le CAS (Centri di Accoglienza Straordinaria – Centres d’accueils exceptionnels), créés à la suite des “accueils d’urgence”, et dont la bureaucratisation extrême a entrainé des délais dans l’obtention des documents et des conflits entre les différents bureaux.
Cependant, dans ce chaos général, une idée très lucide se propage doucement dans le cadre de ce système: la performativité. Les espoirs de réussite de ceux qui arrivent en Italie, laissant derrière eux une grande partie de leur vie, sont conditionnés par la façon dont ils seront capables de s’intégrer, c’est à dire à quel point ils seront méritants dans leurs efforts pour correspondre au modèle du migrant parfait. Ceci est particulièrement vrai dans le système SPRAR (Sistema di Protezione per Richiedenti Asilo e Rifugiati – Système de Protection pour les Demandeurs d’Asile et les Réfugiés), le second refuge qu’un demandeur d’asile découvre après le premier centre d’accueil. L’un des travailleurs de SPRAR nous a raconté:
“Le projet SPRAR part d’une logique de performativité. C’est à dire, votre autorisation de séjour est prolongé si vous démontrez que vous adhérer à l’acception dominante de l’intégration. Par conséquent, si vous apprenez l’italien suffisamment vite, dans une certaine limite de temps, si vous êtes capable de suivre une formation, si vous êtes capable de décrocher un stage, et ensuite de trouver un travail, et ensuite de trouver votre propre logement, parce que le système ne vous aide pas. Tous les autres [...] sont perçus comme des rebuts. Peut-être qu’à cause d’un illetrisme plus ancien, ils ne peuvent pas apprendre l’italien correctement.”
Il y a ceux qui parviennent à coller à ce modèle. Un jeune réfugié qui est parti de Guinée après avoir suivi la route lybienne et traversé la Mediterranée confirme en quelque sorte cette opinion sur le système d’accueil, raconte une réussite – aussi rendue possible par le fait qu’il avait déjà fait des études dans son pays de départ – qui l’a menée à à militer pour les droits des migrants et à trouver un travail dans une grande entreprise:
“Quand je suis arrivé ici j’étais plus ou moins comme un bébé… parce que j’ai réalisé que toutes les choses que j’avais fait en Afrique ne valaient plus rien désormais. Au début j’étais déprimé [...] J’ai commencé à me reprendre, plus ou moins, doucement. Et j’ai dit à mon ami·e·: ‘Conduis-moi là où je peux chercher un travail, je veux travailler.’ J’ai été au centre d’accueil. La dame m’a demandé ce que je pouvais faire dans la vie et j’ai répondu ‘peux tout faire!’ [rires] Et la dame a dit ‘Non, tu ne peux pas venir en Italie et dire que tu peux tout faire! Celui qui sait tout faire ne sait rien faire en réalité!’ Bien sûr, tu as raison… Tu sais que c’est ces paroles qui m’ont donné beaucoup de force? J’ai pensé ce jour-là… J’ai dit… Cette fem”e-là… Ce n’est pas un problème de raciste [sic.], elle m’a dit la vérité. Si je dois travailler, je dois savoir comment faire quelque chose. J’ai commencé à étudier pour apprendre la langue, j’ai fait différentes formations… Maintenant je travaille pour Telecom”.
Des exemples comme celui-ci montrent qu’il est possible d’adhérer au modèle performatif d’intégration. Cependant, toutes les personnes qui rêvent d’Europe ne sont pas en mesure de parvenir à de telles performances. Ce sont des personnes avec un niveau de formation bas (ou pas de formation du tout), des personnes qui ne peuvent pas s’adapter au contexte italien, des personnes dont les projets de vies concernaient d’autres destinations européennes et qui se sont retrouvées ‘coincées’ en Italie – à cause du règlement de Dublin, pour faire une demande d’asile ou de protection humanitaire, il est nécessaire de laisser prendre ses empreintes digitales et d’être identifiable dans le premier pays d’arrivée et, dans tous les cas, les documents sont uniquement valables dans le pays dans lequel la demande a été faite – ou parce que les personnes ont subi tant de traumatismes et de harcèlement durant leur parcours qu’elles ne sont plus en mesure de supporter un tel stress psychologique.
Quel espoir reste-t’il pour ceux qui ne collent pas au modèle?
Cet article a été écrit par Lapsus.
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